J’ai entrepris ce travail de recherche sur Henri Charrière en 2001.
A vrai dire, je pensais le réaliser de façon assez décontractée, seulement sur quelques mois et simplement pour avoir les réponses aux questions que je me posais depuis longtemps sur le personnage.
Je ne savais pas vraiment où j’allais….
J’ai vite compris qu’il me faudrait beaucoup plus de rigueur, beaucoup plus de temps aussi, infiniment plus de temps pour mener à bien cette enquête.
Il m’a finalement fallu y consacrer la totalité de mon temps libre pendant plus de quatre ans. Car travailler sur une légende comme Henri Charrière demande un investissement total, exige autant de méthode que de passion…
J’ai bien sûr reconstitué son parcours, même si ce n’était pas le plus difficile puisque d’autres s’en étaient déjà chargés avant moi, tout au moins pour certaines parties de sa vie. Le plus difficile a été de connaître l’homme Henri Charrière, de bien le cerner, de le comprendre en profondeur.
Cette recherche a commencé par l’étude soutenue et minutieuse de ses deux ouvrages : PAPILLON et BANCO, ainsi que ceux de ses détracteurs, PAPILLON EPINGLE et LES QUATRE VERITES DE PAPILLON pour l’essentiel, et par la lecture de tous les articles de presse le concernant entre 1930 et 1933 et bien sûr entre 1969 et 1973. J’ai pris connaissance de nombreux éléments de son dossier de Police, ainsi que celui des archives de l’Administration Pénitentiaire.
J’ai tenté d’apprendre, autant par la littérature que par des entretiens avec des historiens ou des enfants de surveillants, ce qu’était véritablement le bagne de Guyane. Mais j’ai compris que si cette approche était importante, nécessaire, elle restait cependant insuffisante.
Je n’ai donc pas eu d’autres choix que de réaliser un travail de fond, d’aller aux sources, de suivre ses pas de la naissance à la mort. De sa famille aujourd’hui dispersée aux quatre coins de France à ses amis d’enfance, compagnons de jeux des rives de l’Ardèche ou partenaires des terrains de rugby, en passant par d’anciennes demoiselles de quatre-vingt-dix printemps qui se souvenaient encore avec émotion des valses dansées avec lui, j’ai retrouvé son tout premier cercle.
J’ai aussi fait la connaissance de la famille de sa compagne, Rita Ben Simon, de celle du Docteur Guibert- Germain, celui qui l’avait soigné au bagne, d’anciens clients du Scotch-club ayant appartenu dans leur jeunesse au milieu français de Caracas.
Enfin, M. Robert Laffont m’a livré non seulement son avis d’éditeur sur le succès hors- norme du livre PAPILLON, mais aussi nombre d’histoires ou d’anecdotes sur l’aventure éditoriale partagée avec H. Charrière.
Parce qu’ils comprenaient mon travail totalement désintéressé, ma motivation guidée par le seul souci de vérité, ma démarche respectueuse, ils m’ont tous fait confiance et m’ont confié à la fois leurs témoignages et leurs archives.
Je ne les remercierai jamais assez.
Au fil des mois et des rencontres, ce n’était plus seulement un travail de recherche. C’était une immersion en profondeur dans le temps et dans la peau d’un homme que je finissais par connaître de mieux en mieux, souvent davantage que tous ceux qui m’en parlaient puisqu’ils n’en avaient tous, à leur place et à une période déterminée, qu’une approche partielle, qu’une connaissance limitée. J’ose dire que j’ai pensé ma mission terminée lorsque j’ai eu la conviction que je connaissais H. Charrière davantage que ses proches, et peut-être mieux qu’il ne se connaissait lui-même…
C’est seulement là, comme l’avait pressenti M. Robert Laffont quelques mois plus tôt, que l’écriture de sa biographie s’est imposée : PAPILLON LIBERE.
Un an d’écriture pour restituer le résultat de ces années de recherche.
Si mon livre est incontestable sur le plan historique, que ce soit sur la chronologie et le déroulement des évènements, sur la précision des noms, des lieux et des dates, il fait néanmoins un portrait positif et sympathique d’H. Charrière. Tenu à la plus stricte rigueur sur l’objectivité des faits, je me suis en effet autorisé à exprimer mes sentiments sur ce que je pense de l’homme. Le portrait que j’en dessine est forcément personnel, donc subjectif.
Je l’assume totalement.
H. Charrière est devenu, avec Guillaume Seznec et quelques autres, l’emblème du bagne de Guyane, et aussi celui du monde de l’édition et des best-sellers de la seconde moitié du vingtième siècle. A ces titres, il fait dorénavant partie de notre histoire.
Avec cette biographie, PAPILLON LIBERE, j’ajoute la dernière pierre à cet édifice monumental.
Puisse t-elle le libérer à jamais des souffrances passées, des polémiques désormais inutiles, et le restituer enfin dans sa vérité, à la place qu’il mérite.
PAPILLON LIBERE reçoit en 2007 le prix Villard du Conseil Général de l’Ardèche.
Cet ouvrage est aujourd’hui reconnu au niveau national par les milieux d’histoire et du bagne comme la référence sur H. Charrière.
Parce que son éditeur, M. Robert Laffont, a vécu avec H. Charrière une aventure littéraire et médiatique
extraordinaire, parce que ma recherche le ramenait aux heures les plus glorieuses de sa
maison, parce qu’il a été le premier à lire et à apprécier PAPILLON LIBERE, le « grand-père de l’édition française » m’a fait l’immense honneur d’en écrire
la préface.
Je suis heureux de vous la présenter :
QUELQUES EXTRAITS DE PAPILLON LIBERE :
Sur son enfance :
« Quelques semaines seulement après la rentrée des classes, par un dimanche après-midi d’ennui, Henri, qui joue seul devant les portes de l’internat, voit arriver par la route montant de la gare d’Aubenas, un cortège très sombre où il reconnaît son père, ses oncles et tantes. Un cortège qui s’approche doucement vers lui. Un flottement dans l’espace, un temps qui se ralentit, un cœur qui palpite et qui semble s’arrêter, des regards éperdus qui se croisent sans se voir, son père qui s’avance, qui le prend dans ses bras et lui dit :
– Elle est morte en prononçant ton nom.
Cette fois, le temps s’arrête, le monde bascule. Il n’y a plus rien, qu’une douleur insoutenable, incroyablement aiguë, un fardeau impossible à porter.
Henri s’évanouit dans les bras de son père.
Marie-Louise, décédée le 7 octobre 1917 à Lanas, seule et sans avoir pu revoir son époux et ses enfants, est enterrée dans le cimetière de ce village. Elle laisse un mari âgé de quarante et un ans et trois enfants. Yvonne, Hélène et Henri ont respectivement quatorze, treize et onze ans.
Mais les réalités ne seront plus jamais les mêmes, Henri n’a pas onze ans. Henri n’a plus onze ans. Henri n’a plus d’âge. Sa mère est bien partie avec lui, celui d’avant, celui du temps du bonheur. En enterrant quelques jours plus tard Marie-Louise, personne alors ne se doute qu’on enterre aussi et à tout jamais l’enfance et l’innocence de son petit Henri. »
Sur le bagne :
« Mais l’immense et maudit sablier arrive au bout, et, le 18 septembre 1937, soit deux ans jour pour jour après son entrée, Papillon quitte sa cellule et le quartier disciplinaire de la Réclusion. Totalement ébloui par le soleil, après seulement une cinquantaine de mètres de marche, il est obligé de s’arrêter pour ne pas s’évanouir. Il repart lentement, après s’être habitué à la lumière du jour. Il a gagné son pari, il est bien sorti vivant de la « mangeuse d’homme » !
Par contre il ne sait pas, et il ne saura sans doute jamais, que cette coupure d’avec le monde des hommes et de la nature, que cet isolement forcé à l’ombre du jour, que ces milliers d’heures passées dans un monde intérieur, que cette faculté de dédoublement pour survivre, ont modifié en profondeur et à jamais la perception des choses et de sa propre vie.
Bien sûr, avant la Réclusion, il y avait cette faille profonde et secrète, cette souffrance en partie inconsciente liée au tiraillement entre les leçons données par ses parents et ce qu’il en a fait, entre l’enfant qu’il était et l’adulte qu’il est devenu, entre son appartenance sociale modeste et honnête et le milieu auquel il appartient désormais. C’était un combat intérieur difficile à vivre.
La Réclusion a creusé et élargi la faille, toujours plus loin, toujours plus profondément jusqu’à l’engloutir et le perdre, ou plutôt, le faire renaître autrement, au cœur d’un monde dont il est désormais le héros. Puisque la vie a voulu qu’il ait perdu la place qui était la sienne dans sa famille et son milieu, mais toujours conscient d’être quelque part cet enfant unique et incomparablement aimé, il devient un aventurier héroïque, admiré par tous, fortement respecté des hommes, tendrement aimé des femmes.
Le passé, le présent, le futur sont désormais vécus dans une autre dimension, inaccessibles à ceux qui n’ont pas souffert. Tout est grandi, embelli et magnifié, à commencer par sa propre vie. Puisqu’il faut mettre des mots sur les choses, la médecine et plus précisément la psychiatrie appelle ce phénomène la « mythomanie ». Pour Papillon, cette compagne est née dans la souffrance des cachots de la Réclusion de l’île Saint-Joseph. Fidèle et discrète, elle l’accompagne maintenant jusqu’au bout, car c’est elle qui lui a permis de survivre à l’enfer ! »
Sur son livre PAPILLON
« Il va écrire, écrire et écrire des heures durant, le jour, la nuit, dans son bureau, à la terrasse d’un café, dans son appartement. Il laisse toute l’intendance à Rita pour ne se consacrer qu’à l’écriture. Les mots glissent sur le papier, les pages se noircissent. Il écrit sa vie comme il l’a vécue, comme il l’a rêvée dans ses cachots humides de la réclusion, comme il se l’est construite et comme il la raconte depuis quinze ans. Ces lépreux, qu’il connaît bien pour les avoir rencontrés en Guyane ou ailleurs, il va cette fois vivre avec eux, le temps de se faire donner un bateau pour sa première cavale.
Et les indiens, ces indiens dont il est devenu l’ami à Maracaibo, lui qui a été le premier, le seul à les comprendre et à les approcher dans cette chaîne de montagne de la Sierra de Périja, il va maintenant partager leur quotidien une année entière, toujours dans cette même évasion, vivre ses journées de pêche aux perles, ses nuits entre deux jeunes sœurs belles et ardentes : Lali et Zoraïma.
Pour sa deuxième cavale, il part cette fois de l’île du Diable. Il la connaît bien, il y a vécu. Il se remémore parfaitement la côte pour l’avoir longée et pour s’y être enlisé des heures durant, pensant mourir à chaque instant. Cette traversée entre île et continent, mille et mille fois rêvée, aujourd’hui il la revit vraiment. Il ressent tout profondément : les risques, la fatigue, l’épuisement, les odeurs de l’océan et de ses rives, la chaleur suffocante du soleil implacable. Nul autre que lui ne peut raconter de manière aussi véridique cette incroyable traversée dont il ne sait plus toujours s’il ne l’a vécue qu’en rêve ou s’il y était réellement, tant il se souvient précisément de toute cette aventure.
Pour le reste, tout le reste, ces longues années de détention sur les îles, il n’en est plus seulement le témoin, il devient l’acteur principal de toutes ces histoires qui font le bagne et ses légendes. Au fil des pages, son histoire se mêle à celle du bagne et il devient lui, Papillon, le bagne tout entier. Il devient aussi écriture, tant son être ne fait plus qu’un avec la plume. Tel un peintre, mais avec ses outils qui pour lui sont les mots, il dessine le tableau de cette fresque impressionnante des bagnes de Guyane…
… Parce que son support est extrêmement vaste, son vécu personnel impressionnant, ses souvenirs précis, son imagination importante, son verbe haut et son souffle puissant, il possède sans vraiment s’en rendre compte l’alchimie unique et complexe à la réalisation et au succès d’une œuvre littéraire. »

Robert Laffont et Vincent Didier à la sortie du restaurant le Montéverdi à Paris en avril 2003

Robert Laffont avec une nièce d’H. Charrière et Vincent Didier au restaurant le Montéverdi à Paris en avril 2003