COMMEMORATION A ST ETIENNE DE LUGDARES

 

          Après quatre années de recherches sur la vie d’Henri Charrière, quatre années de rencontres et d’études, j’ai eu la conviction que cet homme faisait bien partie de notre histoire, qu’il s’agisse de celle des bagnes ou des succès littéraires.
Je pense qu’il ne méritait pas l’oubli dans lequel il était tombé, surtout en Ardèche, et qu’il était temps que sa terre natale l’honore d’une façon ou d’une autre.
J’ai donc entrepris des démarches en 2003 auprès des communes concernées par H. Charrière dans ce département, à savoir Saint-Etienne-de-Lugdarès, Ucel et Lanas.

          C’est dans sa commune de naissance que j’ai eu le meilleur accueil et qu’il a été décidé de poser une plaque commémorative sur le mur de sa maison natale.
Une cérémonie dont le but n’était ni d’enjoliver le passé, ni de cautionner quoi que ce soit concernant la vie de cet enfant du pays, mais simplement d’attester que le parcours pour le moins atypique et assez extraordinaire d’H. Charrière commençait bien ici, dans cette modeste école de ce bourg de montagne.

          Et c’est ainsi que le samedi 24 mai 2003 à quinze heures, devant une foule nombreuse, le maire ceinturé de son écharpe tricolore et de façon très officielle, a dévoilé une jolie plaque cuivrée à la mémoire d’H. Charrière :

Maison natale de
Henri CHARRIERE
dit « PAPILLON »
1906- 1973
Condamné au bagne en 1931,
évadé, gracié en 1970.
Aventurier et écrivain célèbre.

 

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Le maire Marc Champel dévoile la plaque.

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La maison natale d’H. Charrière.

 

          Dans la foule, quelques invités de marque :
Les nièces du Docteur Germain- Guibert venues avec leur mari. Par leur présence, elles tenaient à représenter leur oncle décédé et leur tante Marguerite, marraine de Papillon au bagne, hospitalisée en maison de retraite.
La fille et le gendre d’Henri Champel, celui qui avait soutenu H. Charrière en tentant de lui obtenir une grâce refusée en 1952. Ils symbolisaient tous ceux qui, en Ardèche, apprécièrent ou aimèrent H. Charrière.
D’autres, absents, participaient avec le cœur :
Des membres de la famille Charrière qui devaient être présents mais qui se sont décommandés au dernier moment pour cause de décès.
Robert Laffont, tenté lui aussi par cette aventure, fut finalement découragé par la distance.
Il m’envoya la veille et par fax un discours que je lus en son nom.

 

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Discours de Vincent Didier.

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Marc Champel et Vincent Didier.

 

          Heures émouvantes où cette terre d’Ardèche retrouvait après tant d’années d’indifférence une partie de son passé à travers ce fils d’instituteur devenu mauvais garçon et forçat avant de s’affirmer comme un homme original et courageux, et, surtout, comme un des écrivains populaires les plus célèbres du vingtième siècle.

 

Vincent, Nathalie, Mathilde et Béranger Didier.

Vincent, Nathalie, Mathilde et Béranger Didier.

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Le buffet.

 

          Après la lecture des discours : celui du maire, de Robert Laffont et du mien, un pot fut servi sous le préau de l’école ouverte pour la circonstance afin de permettre à tous de visiter ce jour- là cette maison redevenue pour l’événement celle de la famille Charrière.
Mais avant de vous inviter à le boire avec nous, je vous propose d’écouter pendant quelques minutes les deux discours suivants :

 

DISCOURS DE M. ROBERT LAFFONT :

« Je suis désolé de ne pas pouvoir être avec vous le 24 mai pour évoquer la personnalité très exceptionnelle d’Henri Charrière, citoyen de Saint-Etienne-de-Lugdarès. Malheureusement le déplacement de Paris est une épreuve trop lourde pour que je puisse l’affronter et pourtant j’aurais aimé communier avec vous dans l’évocation de cet écrivain si particulier et dont j’ai gardé un souvenir très distinct des milliers d’autres auteurs que j’ai rencontrés au cours de ma vie d’éditeur.

Je n’ai connu Henri Charrière que dans la partie glorieuse de sa vie. Lorsque Jean-François Revel m’a confié son manuscrit en m’indiquant qu’il l’avait aimé, je l’ai lu immédiatement et sa lecture m’a frappé au point qu’en en rendant compte au comité de lecture suivant, j’ai annoncé à mon équipe de lecteurs : « Si ce livre ne connaît pas un très vaste succès, je ne m’appelle pas Robert Laffont. » Ils ont rit d’autant plus que je leur avais toujours dit que l’on ne pouvait prévoir le succès d’un livre car il dépend de trop de facteurs divers et pas seulement de la qualité de l’auteur.

Je me réjouissais de rencontrer Henri Charrière et lorsque je l’ai vu pénétrer dans mon bureau j’ai reçu un choc car son portrait correspondait exactement à celui que je m’étais fait à travers notre correspondance : il était devant moi avec son petit chapeau et un immense sourire. Il m’a immédiatement tutoyé et notre amitié avait démarré et n’a pas pris une ride jusqu’à sa mort, excepté le jour où je lui ai dit que je n’aimais pas beaucoup son titre : Les chemins de la pourriture. Il m’a répondu : « Peut-être, mais que me proposes-tu ? Il paraît que tu trouves beaucoup de bons titres ». Deux jours après, j’ai trouvé Papillon ! Il m’a regardé blessé, pour lui Papillon ne reflétait pas le poids de la leçon humaine qu’il voulait apporter avec son ouvrage. Deux jours plus tard il revenait apaisé et me disait : « Tu sais, ton titre il n’est pas si mauvais. J’en ai parlé autour de moi et tous l’ont préféré aux chemins de la pourriture ». J’ai aimé qu’il se soit renseigné, qu’il n’ait pas imposé le titre dont il avait rêvé.

Son livre avait été loué à l’unanimité de la critique mais son succès en dehors des normes suscita bien des jalousies dans le milieu littéraire. C’est ainsi que François Mauriac qui dans un premier article du Figaro s’était écrié : « J’ai trouvé un maître ! ». Trois mois plus tard, il faisait amende honorable disant qu’il s’était trompé.
Nous avons dû nous battre contre tous les jaloux qui allaient jusqu’à prétendre que Charrière n’avait pas écrit son livre alors que nous étions bien placés pour savoir qu’il n’en était rien !

J’ai conservé intacte son image et lorsque vous l’évoquerez ensemble j’aimerais que Vincent Didier boive, pour moi, le verre de ma communion d’esprit avec vous.

Robert Laffont, le 22 mai 2003. »

 

DISCOURS DE M. VINCENT DIDIER.

« L’histoire est une vieille dame capricieuse avec ses absences, ses doutes, ses moments de lucidité. Nul doute qu’elle est aujourd’hui particulièrement lucide, en honorant la mémoire d’Henri Charrière, dit Papillon. Car, en effet, et comme le disait déjà André Griffon il y a trente ans, n’était-il pas temps de peser à son juste poids la valeur d’un auteur hors du commun et qui fut comparé à François Villon et Grégoire de Tours.

Bien sûr, Henri Charrière fut d’abord un homme de contraste et de paradoxe.
Paradoxe d’un homme qui aura joué avec la vérité et les réalités tout en étant sincère et authentique dans ses sentiments et ses émotions.
Paradoxe d’un homme qui aura su lier comme personne le courage et la sensibilité, la force et la tendresse, l’action et l’émotion.
Paradoxe d’un destin incroyable qui, de l’Ardèche à l’Andalousie, en passant par l’Amérique du sud, lui aura fait connaître toute la gamme des sentiments de la comédie humaine, le bon et le mal, le meilleur et le pire, le bagne et la gloire internationale.
André Griffon l’avait bien compris, lui qui parlait de deux visages, l’ombre et la lumière, de deux Papillons, l’un de nuit, l’autre de jour.

Pas étonnant donc qu’il ait été soumis à autant de polémiques et de controverses. Car tous ceux qui ont essayé de le connaître sous le seul angle de l’analyse des faits et des réalités ne l’auront pas compris. Certes, ils auront reconstitué une histoire parfois plus crédible, mais en passant à côté de l’essentiel, à côté de la vérité profonde d’un homme.
Car Papillon était un personnage de légende, de romance, d’histoire.

Qui était-il vraiment ?
Au départ un enfant heureux, rendu terriblement malheureux par la perte brutale d’une mère adorée, à onze ans. Le petit « Riri » de Pont-d’Ucel de 1917 restera à jamais un enfant inconsolable.
Ensuite, accusé d’être l’auteur d’un règlement de compte du milieu, tombe l’effroyable verdict d’un procès contesté, condamnant un jeune homme de 25 ans au bagne à perpétuité.
Ce jugement provoquera chez lui un très fort sentiment d’injustice et une révolte permanente.
Plus tard, la réalité du bagne dans toute sa tragédie et son horreur. Sa lutte pour garder sa dignité, pour gagner sa liberté, pour se refaire une vie d’honnête homme.
Enfin, sa quête obstinée de regagner l’estime des hommes et la considération de la société.
A l’automne d’une vie extraordinaire, à 61 ans, Henri Charrière écrira ses mémoires.
Il deviendra, avec PAPILLON et BANCO, l’un des écrivains les plus lus et les plus célèbres de son siècle.

Je remercie la commune de Saint-Etienne-de-Lugdarès d’honorer aujourd’hui la mémoire d’Henri Charrière et, à travers lui, toute sa famille.
Cette honorable famille d’instituteurs ardéchois qui, sur plusieurs générations, aura veillé à l’instruction et à l’éducation de tant d’enfants.
Comment ne pas penser – particulièrement aujourd’hui, veille de la fête des mères – à cette maman partie beaucoup trop tôt, et dont le départ fut à l’origine de tant de souffrances.
A ce père, lui aussi parti trop vite, à quelques mois seulement de savoir son fils vivant et heureux.
A ces deux sœurs qui auront du toute leur vie porter le lourd fardeau de la condamnation infamante de leur petit frère.
A eux tous, je rends hommage.

J’ai toujours pensé qu’il manquait un dernier chapitre au dernier livre d’Henri Charrière : « BANCO ». Aujourd’hui, ce chapitre, nous l’écrivons tous ensemble.
Henri Charrière se définissait ainsi : « Vénézuélien de l’Ardèche ».
Après la gloire des années 70, succès et polémiques, après aussi un bien long silence, voici venu le temps apaisé d’une reconnaissance toute simple de sa terre d’Ardèche.

Vincent DIDIER, le 23 mai 2003. »

 

Article du Dauphiné-Libéré du 30 mai 2003.

Article du Dauphiné-Libéré du 30 mai 2003.