Mes démarches de 2003 m’ont également mené à Lanas, village où Henri Charrière est enterré. Madame le maire de l’époque, Marie-France Rivière, était bien placée pour connaître la réputation de cette tombe visitée toute l’année par de nombreux touristes, et elle était ouverte à une démarche similaire que celle de Saint-Etienne-de-Lugdarès.
Elle souhaitait baptiser son nouvel espace de jeux et boulodrome :
« L’espace Papillon » ou « L’espace Henri Charrière ».
L’idée d’un musée aussi la tentait. Un lieu qui pourrait présenter nombre de photographies et de correspondances de l’auteur, soit sur un décor des années 1930, soit sur celui des bagnes de Guyane. Mais elle était prudente, tant elle savait qu’une partie des anciens y serait hostile. Après quelques discussions, ne sentant pas une adhésion massive au projet, elle abandonna son idée.
Des décennies plus tôt, la question s’était déjà posée de baptiser une nouvelle place. Le curé de l’époque avait suggéré le nom de « Papillon ». Certains s’en étaient offusqué, autant par l’idée elle- même que par le fait qu’elle soit avancée par le prêtre de la paroisse. Pourtant, nombreux furent les ecclésiastiques des années 1970 à avoir lu PAPILLON, à avoir été intéressé par le personnage. Il fut souvent cité en chaire. Ces hommes d’église étaient sans doute séduits par les valeurs puissantes de compassion et de réhabilitation qui se dégagent des écrits d’H. Charrière.
Il a donc fallu du temps à Lanas, beaucoup de temps, pour s’approprier davantage la légende de celui qui est enterré chez eux depuis 44 ans, et qui attire encore tant de monde sur sa tombe. Des décennies pour dépasser les anciennes querelles villageoises et reconnaitre enfin la stature internationale du personnage.
Le 8 juin 2012, une cérémonie présidée par le maire, M. Robert Chevrier, et rassemblant de nombreux élus du canton, inaugura le nouveau centre socio-culturel baptisé « Papillon ». Le nom donné à cette salle permit une couverture médiatique assez large. Une plaque fut ainsi dévoilée par le maire. Je précise qu’elle fut créée et donnée à la commune par un de ses résidents, marbrier de profession, M. Serge Peltre. Pour faire un clin d’œil à l’Histoire, celui-ci utilisa comme matière première un granit du brésil, pays voisin du Venezuela, pays d’adoption d’H. Charrière.

La plaque commémorative.

Le député Jean-Claude Flory découpant le ruban tricolore.
L’intérêt de cette manifestation très réussie fut également de recevoir à Lanas une nièce d’H. Charrière que j’avais invitée. Très sollicitée par les participants, elle raconta nombre d’anecdotes sur la vie de son oncle et sur ses relations à l’Ardèche.

Un gâteau aux formes évocatrices.

Une nièce d’H. Charrière et Vincent Didier.
DISCOURS DE VINCENT DIDIER
Je tiens d’abord à vous remercier de votre invitation.
Puisque j’ai travaillé pendant des années sur la vie d’Henri Charrière, et donc, sur une partie de votre histoire, je suis ravi d’être des vôtres aujourd’hui.
Je ne vais pas vous faire une conférence sur sa vie.
Ce serait beaucoup trop long et ce n’est pas l’objet de cette manifestation.
Non, puisqu’il s’agit de l’inauguration et du nom choisi pour votre espace culturel, je suis simplement là pour vous rappeler l’histoire impressionnante du livre PAPILLON.
H. Charrière écrira son livre intitulé : « Les chemins de la pourriture » en quelques mois seulement de l’année 1968 pour une sortie en mai 1969 aux Editions Robert Laffont, et sous un nouveau titre : PAPILLON.
Lorsque Robert Laffont a eu dans ses mains l’original du manuscrit, ceci par l’intermédiaire du célèbre intellectuel devenu académicien Jean-François Revel, il a été séduit et captivé au point de le lire d’une seule traite en un week-end. Il dira à son épouse en fin de lecture :
« Je vais éditer cet ouvrage, et, pour la première fois, je me passerai de l’avis de mon comité de lecture. Si ce livre-là ne devient pas un best-seller, je ne m’appelle plus Robert Laffont ! »
Afin de vous resituer un peu le contexte de ce qu’était un succès littéraire à l’époque, on considérait qu’un livre était un best-seller à partir de cent mille exemplaires vendus.
C’était un chiffre tout à fait considérable, qui a bien baissé depuis.
Puisqu’on lit beaucoup moins aujourd’hui, on a droit désormais à ce titre au-delà de trente ou quarante-mille exemplaires seulement.
Comme l’avait prédit Robert Laffont, PAPILLON va rencontrer un succès immédiat, un succès inédit. Après plusieurs centaines de milliers d’exemplaires vendus en quelques mois seulement, H. Charrière, qui n’était pas tout à fait modeste, dira un jour à son éditeur :
« Je souhaiterais le vendre à un million d’exemplaires ! »
Son éditeur lui répondra qu’il ne faut tout de même pas exagérer, qu’un million d’exemplaires, ça n’arrive jamais !
Le livre PAPILLON va se vendre à plus de treize millions d’exemplaires dans le monde !
A peu près deux millions et demi en France, plus de dix millions à l’étranger.
Mais parler de chiffres ne suffit pas pour resituer l’importance de cet ouvrage, car cet ouvrage n’est pas seulement un succès commercial hors- norme, c’est aussi un vrai succès littéraire, reconnu comme tel par les personnalités littéraires et artistiques les plus brillantes de l’époque. Je pense par exemple à Simone de Beauvoir, Jacques Prévert, Georges Pompidou, et, bien sûr, François Mauriac, qui écrivit un article élogieux dans le Figaro littéraire du 28 août 1969. Article qui se termine par ces mots :
« Ce nouveau confrère est un maître ! »
Robert Laffont, pourtant habitué aux succès de librairie, me dira à l’occasion d’une de nos rencontres :
« PAPILLON, c’est bien plus qu’un succès, bien plus qu’un best-seller, c’est un phénomène de l’édition française du vingtième siècle ! »
Pourquoi un tel succès ?
Il est impossible de vous en parler en quelques minutes seulement, et je ne voudrais pas vous fatiguer par une explication de texte souvent longue, parfois un peu ennuyeuse.
Je vous relirai donc seulement quelques lignes de l’article d’André Griffon, écrit en août 1973 à l’occasion du décès d’H. Charrière. Je trouve cet article toujours très vrai, d’une actualité telle qu’il a toute sa place dans la cérémonie d’aujourd’hui :
« Il est vrai qu’il y eut deux Papillon : l’un de nuit, l’autre de jour. Deux visages : l’ombre et la lumière.
Toute l’ombre des nuits chaudes de Paris, d’un procès aux assises, d’une condamnation aux travaux forcés de Cayenne, d’une suite d’épreuves insensées, de réussites matérielles, d’échecs inquiétants, dans un mode concentrationnaire d’abord, dans une épopée de « cavales » incroyables ensuite, dans ce Nouveau Monde enfin de l’Amérique du Sud où l’on jouait sa vie à la force du poignet et à la force du caractère.
Mais aussi toute la lumière du courage le plus inhumain, de l’amitié la plus pure, d’un sens inné de la poésie des êtres et des choses, de l’amour porté à tous les faibles et, enfin, d’un conteur si naturellement et si extraordinairement doué qu’il captiva d’emblée des millions et des millions de lecteurs, aussi bien en France, en Allemagne, qu’en Italie ou au Japon.
Est-ce le temps de se faire les défenseurs de la morale ?
Est-ce celui de peser à son juste poids la valeur d’un auteur hors du commun que l’on compare désormais à Villon et à Grégoire de Tours sans en faire le tour car il est le contraire d’un écrivain puisqu’il n’écrit pas mais qu’il parle ou- si l’on préfère- qu’il a écrit comme il a parlé ?
Il nous parait que, désormais, il convient de laisser le temps jouer avec ses ombres et ses lumières pour faire surgir de deux visages un seul et authentique portrait. »
C’est ce portrait que j’ai dessiné trente-trois ans plus tard dans PAPILLON LIBERE, afin de permettre à tous, mais plus particulièrement aux ardéchois, de le connaître davantage, de le connaître plus justement, de le connaître mieux.
Alors, certes, je confirme bien la part d’ombre d’H. Charrière.
Cette part qui ne lui a pas fait que des amis en Ardèche et ici même, à Lanas.
Certains me disent même parfois : « Ce n’était pas un saint. »
En effet, c’est vrai, il n’était pas un saint.
Mais, même s’il me semble qu’il a accompli quelques miracles dans sa vie, nous ne sommes pas là pour instruire un procès en canonisation.
Nous sommes là pour baptiser votre espace culturel du nom de celui qui reste un auteur d’exception, d’un homme devenu légende par un ouvrage mythique lu dans le monde entier, d’un livre devenu au fil du temps un classique incontournable de la littérature populaire du vingtième siècle.
Alors, dites-moi, combien de villes ou de villages de France peuvent, sur ce plan-là, s’enorgueillir d’une telle référence ? Bien peu, tellement peu en réalité !
Ils sont à compter sur les doigts des deux mains.
Vous ne pouviez choisir un meilleur nom, à Lanas, que celui de Papillon.
Surnom de celui qui, enfant, courait a en perdre haleine dans les rues pavées de votre village, de celui qui, jeune homme, se faisait tatouer un magnifique papillon sur le torse dans une caserne de Calvi, de celui, qui, enfin, après une vie d’aventures impressionnantes, repose chez vous auprès d’une mère tant aimée.
Au nom de tous ses lecteurs, de tous ceux pour qui ce livre reste et restera le livre de chevet préféré, je vous remercie vivement.
Vincent DIDIER

Article de presse de La Tribune du 21 juin 2012.