SON ENFANCE

 

          Henri Charrière voit le jour le 16 novembre 1906, à Saint-Etienne-de-Lugdarès.
Il s’agit d’un  tout petit village de l’Ardèche situé à 1200 mètres d’altitude, aux limites des départements de la Lozère et de la Haute-Loire.

 

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          Ses parents sont tous les deux instituteurs, situation assez rare à l’époque.
Son père, Joseph Charrière, est d’origine modeste mais cultivée, puisque il est le fils d’un instituteur, un hussard noir de la République, ayant fait partie de la première promotion de l’école normale de Privas.
Sa mère, Marie-Louise Thierry, est d’origine bourgeoise.

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La maison natale d’H. Charrière

          Elle est la fille d’un commerçant  ayant fait fortune dans le commerce du grain entre Lyon et Montpellier. Elle possède une excellente éducation, joue du piano et fait de la broderie.

          Serait-ce parce qu’Henri est leur troisième et dernier enfant ?
A moins que ce ne soit parce qu’il est le seul garçon ?
Toujours est-il qu’il va grandir dans un foyer uni et heureux, en étant très protégé de ses parents, particulièrement de sa mère qui l’adore véritablement et qui lui passe tous ses caprices.

          C’est en février 1909 que cette famille quittera l’austère plateau ardéchois pour des contrées beaucoup plus riantes, dans le sud du département et tout près d’Aubenas, à l’école primaire publique de Pont-d’Ucel précisément. Henri va donc grandir dans cette jolie bourgade des bords de l’Ardèche. Il s’affirme très vite comme un garçon intelligent, doué, mais très vif et indiscipliné. Son comportement d’alors ressemble de très près à celui qu’on définit aujourd’hui d’hyperactif. Il passe beaucoup de temps dehors, préférant les jeux et les espiègleries des enfants de son âge à l’ambiance studieuse des classes de ses parents.

 

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Photo d’école, la classe de son père. En haut à gauche, Joseph Charrière, son père et instituteur. Au premier rang, 5 ème à partir de la gauche, Henri.

«  Le film de ma vie se déroule rapidement devant moi : mon enfance auprès d’une famille pleine d’amour, d’éducation, de bonnes manières et de noblesse ; les fleurs des champs, le ronron des ruisseaux, le goût des noix, des pêches et des prunes que notre jardin nous donnait copieusement ; le parfum du mimosa qui, chaque printemps, fleurissait devant notre porte ; l’extérieur de notre maison et l’intérieur avec les attitudes des miens ; tout cela défile rapidement devant mes yeux. Ce film parlant où j’entends la voix de ma pauvre mère qui m’a tant aimé, et puis celle de mon père, toujours tendre et caressante, et les aboiements de Clara, la chienne de chasse de papa, qui m’appelle du jardin pour jouer ; les filles, les garçons de mon enfance, compagnons de jeux des meilleurs moments de ma vie, ce film auquel j’assiste sans avoir décidé de le voir, cette projection d’une lanterne magique allumée contre ma volonté par mon subconscient, emplit d’une émotion douce cette nuit d’attente vers le grand inconnu de l’avenir. »
( Henri Charrière, Papillon. )

 

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Photo de famille : En haut à gauche, ses parents Joseph et Marie-Louise Charrière. En haut à droite, ses oncle et tante Léopold et Marie-Léontine Dumarché. Au premier rang, Henri entouré de ses deux sœurs Yvonne et Hélène.

 

Photo de famille

          Les premiers nuages de son ciel d’enfance arrivent en 1914 avec la Grande Guerre. Comme tous les hommes de sa génération, son père part au front. Sa mère assume seule les deux classes de l’école de Pont-d’Ucel, ainsi que l’éducation de ses trois enfants. Les liens naturels entre Marie-Louise et Henri vont, par l’absence de Joseph, devenir encore plus puissants, plus fusionnels. En même temps, Marie-Louise n’a pas l’autorité nécessaire pour canaliser l’énergie débordante de son fils. Les bêtises commencent… Joseph sera blessé par des éclats d’obus en 1917 et transféré à la surveillance de la poudrière à Saint-Chamas près de Marseille. Il faudra attendre l’été pour qu’il puisse réunir sa famille dans cette commune.

          Mais c’est véritablement en octobre 1917 que le destin du jeune Henri va basculer. Sa mère décède à Lanas d’une maladie contagieuse contractée auprès des blessés indochinois. Trop lié à sa mère, trop jeune sans doute pour supporter une telle épreuve, il va réagir à ce drame par la révolte sans que personne n’arrive à le consoler ni à calmer sa violence. Son adolescence sera perturbée, de plus en plus difficile, et l’amènera doucement sur des pentes glissantes et dangereuses. Pensionnaire à l’école supérieure des garçons de Crest dans la Drôme, il sera renvoyé de cet établissement en 1925 suite à une bagarre qui se termine mal. Afin d’éviter des poursuites judiciaires et pour mater ce tempérament rebelle, son père lui fait signer la même année un engagement dans la Marine Nationale.

          Après quelques débuts difficiles à  Toulon, il est affecté en août 1926 dans les bataillons disciplinaires de Corse, d’abord à Calvi avant d’être transféré dans une unité encore plus dure à Corte. C’est à Calvi qu’il se fera tatouer un soir de déprime un magnifique papillon sur le torse, symbole de la liberté pour tous les militaires et prisonniers de l’époque. Pour fuir cet enfer, il profite d’un chantier pour se faire écraser le pouce de la main gauche. Il est réformé le 28 avril 1927 et retrouve l’Ardèche dès le mois suivant. L’armée ne l’aura pas mâté comme beaucoup l’espéraient. Elle l’aura simplement endurci et enragé.

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Imprimé militaire : Feuille de route pour son retour en Ardèche. 1er mai 1927.

 

          Si celui qui avait quitté la Drôme deux ans auparavant était un jeune difficile, indiscipliné et un peu rebelle, celui qui rentre en Ardèche en mai 1927 et qui se fait dorénavant appelé « Papillon » est un voyou, endurci aux épreuves et aux coups, excellent bagarreur.
Il s’impose donc très vite comme le chef d’une petite équipe de durs qui s’amuse et sévit dans les cafés dansants et bals d’Aubenas et de sa région. Batailles rangées, règlements de comptes, premiers larcins.

 

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Club de rugby d’Aubenas, Henri est accroupi au deuxième rang à l’extrême gauche, avec un polo gris.

          Papillon, qui excelle sur les terrains de rugby et dans les concours de danse, passe aussi de plus en plus de temps à s’étourdir dans les soirées de la Lauzière, charmante petite maison close de Vals-les-Bains. Son goût prononcé de la nuit, des fêtes et des jolies femmes, son physique avantageux, son  incontestable talent de séducteur, lui permettent d’être très à l’aise dans ce milieu. D’abord consommateur, puis plus ou moins engagé comme videur, il fait progressivement ses premières armes de souteneur dans cette cité thermale. C’est malgré tout pour faire plaisir à son père, qui n’est évidemment pas au courant des activités de son fils, qu’Henri passe des concours pour intégrer l’administration. Concours qu’il réussit brillamment, mais qui ne lui permettront pas de devenir fonctionnaire pour autant, condamné au final par un dossier militaire des plus chargés !

 

          Extrêmement déçu, révolté par la société qui refuse de l’intégrer, il décide alors de quitter l’Ardèche pour rejoindre Paris.
Paris où il pourra retrouver certains camarades connus en Corse,
Paris qui  n’exigera pas de lui un certificat de bonne conduite,
Paris qui l’attends !