LE PROCES

 

Information :
Compte-tenu de la complexité de cette affaire, il est impossible de la développer ici correctement en seulement quelques lignes. Je ne peux que la résumer de façon très succincte :

          Henri Charrière arrive à Paris à la fin de l’année 1927.
Grâce à d’anciens camarades connus dans les bataillons disciplinaires de Corse, il s’installe dans les quartiers de Montmartre et Pigalle.
Officiellement garçon de café, il vit dans un premier temps grâce à un rappel de six mois de sa pension d’invalidité, et aux quelques économies réalisées en Ardèche avant son départ.
Il va mener à Paris la vie qu’il avait déjà à Vals-les-Bains, celle d’un jeune en rupture, si ce n’est que son nouveau terrain de chasse et de jeux est beaucoup plus vaste, infiniment plus dangereux….
Durant deux ans, son quotidien est celui d’un jeune provincial qui tente de faire sa place dans le Milieu parisien. Il joue assidûment dans certains tripots clandestins et sur les champs de courses, se rend coupable de quelques vols et cambriolages, fréquente le milieu du proxénétisme.
S’il n’est pas un souteneur notoire et s’il ne participe pas à ce qu’on appelait à l’époque «  la traite des blanches », son ordinaire est malgré tout amélioré pendant quelques mois par les revenus du trottoir de sa nouvelle compagne, Georgette Fourel dite Nénette, jolie jeune fille de dix-huit ans originaire de Haute-Marne.
Mais Papillon, ici comme à Vals-les-Bains, n’est pas qu’un voyou. Il reste aussi un bon copain, le camarade chez qui l’on passe obligatoirement lorsqu’on fait une virée à Paris.
En effet, nul autre que lui ne sait si bien recevoir, préparer des fêtes dont on se souvient longtemps.
S’il est considéré par un homme du Milieu par tous les braves gens, le Milieu le trouve à la fois trop bien élevé et trop fantasque pour l’intégrer vraiment à son monde.
En fait, Papillon s’affirme de plus en plus dans ce qu’il est vraiment : un personnage unique,  complexe, coloré : un papillon de jour,  un papillon de nuit…
Et cette vie pourrait durer ainsi longtemps, si son destin ne basculait pas en ce début d’année 1930.

          En effet, il est soupçonné par les services de police du meurtre d’un autre jeune voyou Roland Legrand. Celui-ci, blessé d’une balle de révolver dans le ventre le 26 mars 1930 sur le boulevard de Clichy, décède le lendemain à l’hôpital Lariboisière. Avant de mourir, il confiera à sa mère et aux services de police s’être fait blesser par un dénommé « Papillon Roger ».
Une instruction démarre, à la recherche de Papillon Roger. Des « Papillons », il y en a un certain nombre dans ces quartiers… Mais point de Papillon Roger. Parce qu’il a quitté son domicile précipitamment, la police va rapidement s’orienter sur un autre Papillon. H. Charrière, surnommé encore Papillon pouce-coupé ou Papillon l’Avignonnais. L’instruction va durer un peu plus d’un an.

          Grâce au témoignage d’un seul témoin à la moralité douteuse, ainsi qu’à quelques rumeurs, H. Charrière passe devant les assises de la Seine le 27 juillet 1931.
Face à l’absence de preuves, sans arme du crime retrouvée, avec un dossier particulièrement vide et un accusé qui clame toujours avec force son innocence, l’avocat général  demande un complément d’informations, et reporte le procès après les vacances judiciaires, en octobre. Papillon commence à sentir le vent de la liberté, et son avocat lui assure qu’il sera  libre pour les fêtes de fin d’année.

Dessin d’Henri Charrière à son procès.

Dessin d’Henri Charrière à son procès.

          Le nouveau procès a lieu le 26 octobre 1931. C’est bien la même affaire, et pourtant, cette fois, tout est différent.
L’ambiance est cette fois celle de la rentrée, beaucoup plus morose. Les magistrats se lassent de cette affaire qui dure, alors qu’elle n’est finalement qu’un règlement de compte de jeunes du Milieu. Le seul témoin sera un peu plus convaincant, plus persuasif. H. Charrière, qui sent le vent tourner, se défend mal, insulte parfois la cour ou les jurés. Après délibération, ceux-ci le condamne aux travaux forcés à perpétuité pour homicide volontaire sans préméditation, mais sans circonstances atténuantes.

          Papillon est effondré. Il ne comprend pas ce verdict. Comment être condamné à perpétuité alors qu’il a frôlé l’acquittement en juillet ? Comment condamner un homme à la pire des peines avec si peu d’éléments et sans aucune preuve ?
Il continue de crier son innocence.
Et il le fera toute sa vie durant, jusqu’à son dernier souffle.

          La guerre ouverte entre la défense et la partie civile, la complexité du dossier, la personnalité de l’accusé intéressaient de nombreux journalistes. La presse suivait donc avec intérêt le déroulement de ce procès. A l’issue de celui-ci, la plupart des chroniqueurs judiciaires étaient extrêmement réservés sur la régularité de l’instruction. Certains doutaient même de la culpabilité de l’accusé.

          Ci-joint un extrait représentatif de la presse de l’époque :

«  Charrière- Papillon est condamné au bagne perpétuel.
Le jury de la Seine, malgré le doute qui subsiste sur la personnalité du vrai Papillon, de celui qui aurait tué sur la butte, une nuit de mars, Roland Legrand, a condamné Charrière.
Hier, au début de l’audience, on a entendu le témoin Goldstein, sur les déclarations de qui repose toute l’accusation. Ce témoin, qui est resté constamment en contact avec la police, que l’inspecteur Mayzaud affirme avoir vu, depuis le drame, plus de cent fois, a fait ses déclarations à trois reprises différentes, en les aggravant à chaque fois. Ce témoin, on le voit, est un dévoué auxiliaire de la police judiciaire.
Tandis qu’il formule ses accusations, Charrière l’écoute attentivement.
Lorsqu’il a fini, il s’écrie :

Je ne comprends pas, je ne comprends pas ce Goldstein à qui je n’ai jamais rien fait et qui vient débiter ici de pareils mensonges dont le seul but est de me faire envoyer au bagne.

H. Charrière à son procès.

H. Charrière à son procès.

On rappelle l’inspecteur Mayzaud à la barre. Il prétend, cette fois-ci, que la déposition de Goldstein n’a pas été inspirée. Mais on remarque, de-ci de-là, des sourires sceptiques. L’avocat général Siramy, dans un réquisitoire amorphe, constate qu’il y a beaucoup de Papillon à Montmartre et même ailleurs. Il réclame toujours une condamnation, sans préciser la peine, s’en rapportant au jury. La partie civile, représentée par Me Gautrat, après avoir comiquement montré le bagne comme une école « d’amélioration morale », demande qu’on y envoie Charrière, dans son propre intérêt, pour en faire un « honnête homme ».

Les défenseurs, Mes Beffrey et Raymond Hubert, plaident l’innocence. Sous prétexte qu’on n’a pu retrouver Roger le Corse, dit Papillon, il ne s’ensuit pas que Charrière, dit Papillon, soit le coupable. Mais le jury, après une longue délibération, rentre dans la salle, rapportant un verdict affirmatif et la cour condamne Henri Charrière aux travaux forcés à perpétuité, accordant 1 franc de dommages- intérêts à la partie civile. 
L’Humanité. Le 28 octobre 1931. »

Son épouse Georgette Fourel dite Nénette.

Son épouse Georgette Fourel dite Nénette.

          Sur d’autres plans, cette période s’accompagne de deux faits majeurs :

          Son mariage avec sa compagne Georgette Fourel dite Nénette le 22 décembre 1931.
Le maire du premier arrondissement de Paris reçoit le consentement des époux, devant deux inspecteurs de police et les témoins des mariés : de fidèles amis de Vals-les-Bains, le couple Boet. Un échange d’alliances, un long baiser, quelques promesses…
Arrivé à 9 heures, H. Charrière reprend le chemin de sa cellule à 10 heures 30.

          La visite de son père à la prison de la santé :

«  La sirène du Napoli me fait sursauter et efface ce lointain passé, ces images de mes dix-sept ans où, avec mon père, nous sortons de la gendarmerie où je viens de signer mon engagement. Mais, aussitôt après, surgit devant moi, comme le moment le plus désespéré, le moment où j’ai vu pour la dernière fois mon père. C’était dans un de ces sinistres parloirs de la prison de la Santé, séparés par un couloir de un mètre, chacun derrière une grille dans une sorte de cellule. Une honte, un dégout de ce qu’a été ma vie et qui a conduit mon père là, pour trente minutes, dans cette cage à fauves, m’étreignent.
Il n’est pas venu pour me reprocher d’être le suspect numéro un dans une salle affaire du milieu. Il est là avec le même visage ravagé qu’il avait le jour où il m’a annoncé la mort de ma mère. Il est entré volontairement dans cette prison pour voir son petit une demi-heure, pas avec l’intention de lui reprocher sa mauvaise conduite, de lui faire sentir les conséquences de cette affaire pour l’honneur et la paix de la famille, il ne me dit pas : «  Tu es un mauvais fils », non, il me demande pardon de ne pas avoir su m’élever. Il ne vient pas me dire : «  Je t’accuse de… », au contraire, il me dit la dernière chose que j’aurais attendue, celle qui, mieux que tous les reproches du monde, pouvait me toucher au plus profond de mon cœur : «  Si tu es là, petit, je crois que c’est de ma faute. Pardonne-moi, oui, pardonne-moi de t’avoir trop gâté. »
Henri Charrière. Banco. 1972.

          Il confirmera cette visite après du journaliste André Griffon en septembre 1969, en ajoutant :

«  Tu en crèves de tout ça. Il aurait pu me dire que j’étais un saligaud. Mais non, il me disait qu’il m’avait trop aimé… »

 

De gauche à droite : sa sœur Hélène, son père Joseph, sa belle-mère Juliette Charras.

De gauche à droite : sa sœur Hélène, son père Joseph, sa belle-mère Juliette Charras.

 

COMMENTAIRES :

          Sans aveux, sans preuves, sans avoir retrouvé l’arme du crime, et avec un mobile des plus contestés, le doute sur la culpabilité d’H. Charrière restera à jamais.
Certes, Auguste le Breton, écrivain reconnu du Milieu, a fait part en 1991 de confidences assez crédibles sur la culpabilité d’H. Charrière, mais sans en apporter de preuves. En conséquence de quoi nul ne peut avoir de certitudes. Papillon a emporté ce secret avec lui.

          Ce qui peut -être dit aujourd’hui de façon certaine est qu’H. Charrière était bien un voyou qui tentait de faire sa place dans le Milieu parisien. Il évoluait dans un univers dangereux et il avait la réputation d’être très impulsif, assez violent.
Compte-tenu de ce contexte, des résultats de l’instruction, des confessions d’Auguste le Breton, il est assez probable que Papillon soit coupable du meurtre de Roland Legrand.

          Cependant, l’étude de l’instruction démontre quelques irrégularités. Sur ce point, il est également possible que les services de police, convaincus de la culpabilité du prévenu, mais sans en avoir la preuve et sans éléments solides, aient organisé l’enquête de façon assez douteuse afin de pouvoir le faire condamner tout de même.
Le déroulement des deux procès aux rendus si différents est également assez curieux, et pose de nombreuses questions sur l’objectivité et l’impartialité de la justice.

          Enfin, tous les protagonistes de cette affaire ont estimé, dès l’issue du procès, que la sanction était d’une grande sévérité. Avis partagé même par le policier chargé de l’enquête, l’inspecteur Mayzaud :

« A mon avis, lorsqu’il a tiré, Charrière n’avait pas l’intention de tuer. Je vous l’ai dit : c’était un hâbleur, un type qui aimait se rendre intéressant, qui n’avait pas encore été accepté par le milieu. C’est pour cela qu’il portait souvent une arme. Il a dû vouloir intimider son adversaire ou lui faire peur. Aussi la condamnation à perpétuité était-elle lourde à mon sens. »
Gérard de Villiers. Papillon Epinglé. 1970.