SON DECES

 

          En ce printemps 1973, Henri Charrière constate que cela fait déjà quatre ans que son livre  PAPILLON est sorti, que sa vie a totalement changé, qu’il vit intensément, à toute allure, avec passion.
Il a conscience d’avoir gagné tous ses paris.
Il sait qu’il est dorénavant un conteur remarquable, un auteur reconnu, une personnalité de stature internationale. Il vit toujours en Andalousie, à Fuengirola, même s’il retourne assez souvent à Caracas où il conserve son appartement modeste du quartier de Chaquaito, même s’il est aussi très souvent en France et à Paris. Il y revient régulièrement, autant pour ses affaires que pour y rencontrer sa famille, notamment ses neveux et nièces qu’il a connu si tardivement et avec qui il entretient des liens de plus en plus intéressants. Mais en réalité, il passe le plus clair de son temps en voyage, d’aéroports en hôtels, de gares en restaurants, pour répondre aux très nombreuses sollicitations qui lui arrivent du monde entier. Conférences, dédicaces, interviews…. Il connaît maintenant très bien le monde des médias, ses paillettes et ses pièges qu’il tente à tout prix d’éviter, parfois sans succès….

«  Cette vie d’aventure que j’adore, où on joue tout, où quand on perd on recommence, cette vie généreuse qui donne toujours quelque chose de nouveau à ceux qui aiment le risque, cette vie où intensément on vibre jusqu’au plus profond des fibres de son être, cette vie qui palpite en nous dès qu’on bouge, dès qu’on saute par la fenêtre pour entrer dans l’aventure, cette aventure  qui est à la portée de tous, même sur son palier si on le désire intensément, cette vie où tu ne seras jamais vaincu puisqu’au moment même où tu viens de perdre un coup tu en prépares un autre avec l’espoir d’être gagnant cette fois-ci, cette soif de vivre que l’on ne doit jamais vouloir calmer, où à n’importe quel âge, dans n’importe quelle situation, on doit se sentir toujours jeune pour vire, vivre, vivre , en peine liberté, sans barrière d’aucune sorte qui puisse te parquer dans quelque surface ou quelque collectivité que ce soit.
Henri Charrière, Banco. »

          Au début de l’été, Henri part en tournée en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie pour présenter son dernier livre, BANCO. Mais s’il continue de garder un rythme soutenu, sa gorge le fait désormais souffrir de façon permanente. Et depuis quelques semaines, grâce aux dernières analyses médicales effectuées, il sait malheureusement pourquoi. Non seulement il a appris qu’il est atteint d’un cancer à la gorge, mais il sait en plus que ses jours sont comptés.
Il n’en revient pas !
Avec la vie qu’il a eue : la prison, l’exil, le bagne, les travaux et les épidémies, les évasions, les aventures et les galères, oui, il n’en revient pas de mourir finalement de maladie, de façon si ordinaire, comme tant d’autres qui n’ont pas risqué le centième ou le millième de ce qu’il a vécu. Avant d’être hospitalisé, Henri règle certaines affaires, écrit quelques courriers.

 

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Dernière lettre d’H.C. à son neveu Michel.

 

          Henri est admis à la célèbre clinique Cordessa de Madrid le 19 juillet 1973. Bien sûr, Rita l’accompagne et le soutient comme elle peut dans cette épreuve. La première intervention se déroule sans problèmes. Mais les suivantes sont difficiles parce qu’il a la gorge en feu et qu’il a toujours très soif. Un jour, malgré les interdictions, il se lève pour boire, et, parce qu’on l’y en empêche, bouscule avec une force surprenante les médecins et infirmières qui tentent en vain de s’interposer. Il se précipite sur le robinet et étanche longuement sa soif. Cette dernière désobéissance, cette ultime impulsivité, lui sera fatale. Une infection se déclare le surlendemain, et il faut à nouveau l’opérer dès le samedi. Victime d’une défaillance cardiaque au cours de cette dernière intervention, il décède le dimanche 29 juillet à deux heures et demie du matin, la veille de la sortie du film PAPILLON à New-York.

          Rita est effondrée bien sûr, même si elle ne peut pas vraiment l’exprimer tant elle devine qu’il lui faudra dans les jours et les semaines à venir un courage inhumain pour se charger des funérailles de celui qui fut à la fois son ami, son amant, son mari, son si extraordinaire compagnon. Afin de respecter les dernières volontés d’Henri, elle organise le transfert du corps en France, afin qu’il soit enterré auprès de sa mère, à Lanas, en Ardèche.

 

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Certification du défunt.

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Traduction acte de décès.

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Certificat sanitaire et de transport.

 

          Son décès est immédiatement annoncé dans le monde entier. Il va provoquer chez les journalistes de très nombreux articles, de qualité variable… Mais afin d’éviter qu’une foule n’envahisse ce village, et pour respecter également la volonté de Rita qui souhaite une cérémonie dans l’intimité familiale, les Renseignements Généraux et les services de presse seront extrêmement discrets sur la date des funérailles.

          C’est donc le 2 août 1973, sous un soleil de plomb comme en connaît souvent cette région l’été, que les obsèques d’H. Charrière ont lieu dans ce charmant village de pierre des rives de l’Ardèche. Malgré les précautions des autorités, quelques fuites de dernière minute drainent quelques touristes de passage jusqu’à Lanas, empêchant la cérémonie d’être strictement privée. Comme il le souhaitait et ainsi que l’a organisée Rita, celle-ci se déroule dans la plus grande simplicité, sans office religieux, sans discours, sans condoléances. Seules quelques gerbes et de nombreuses fleurs recouvrent désormais la terre, dont de nombreuses orchidées, symbole du Venezuela. La foule quitte peu à peu le cimetière et se disperse doucement dans les quelques ruelles pavées du bourg.

          Rita, anéantie, est invitée chez le maire pour se reposer, se rafraîchir, et régler les derniers problèmes pratiques. Avant de partir, pour remercier le premier magistrat, elle sort son chéquier pour faire un don à la commune. Le maire refuse, mais Rita insiste tellement qu’il accepte finalement le cadeau. Elle sera la dernière à quitter Lanas.
Le Conseil municipal décidera plus tard d’acheter avec cette somme de 100 francs une horloge pour l’école publique de la commune. Par ce geste, les élus honoreront de façon discrète l’histoire de cette famille enseignante et de cette maison dans laquelle Marie-Louise Charrière était décédée 56 ans auparavant.
Cette fois, la boucle est bouclée.
Charrière repose enfin près de sa mère retrouvée, celle dont il fut le tourment avant qu’elle ne devienne son plus intime remords, pour l’éternité cette fois, à l’ombre des cyprès de sa terre d’Ardèche.

 

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Le cimetière de Lanas.

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La tombe d’H.Charrière.